Les linges opératoires, les tissus barrières, les non-tissés : état de la normalisation

La présence d’un patient dans un bloc opératoire, exposé à la mise en œuvre de techniques chirurgicales invasives, impose la multiplication des précautions, qui devront conduire à placer une barrière efficace entre chaque source de micro organismes ou de particules infectieuses et le site opératoire.

Les squames cutanées, les gouttelettes de flügge, les germes du patient réalisent des aérosols de plusieurs millions de particules par m2 lors d’une activité opératoire normale.

Malgré l’existence – indispensable – d’un traitement approprié de l’air et des surfaces du bloc opératoire, malgré les règles draconiennes imposées pour garantir la stérilité des instruments de chirurgie, les qualités barrière des drapages et des habillements couvrants sont des éléments déterminants du risque infectieux per-opératoire.

La normalisation des produits mis sur le marché doit garantir à tout acheteur, à tout utilisateur, à tout patient, des qualités de protection optimales vis à vis de ce risque infectieux.

D’autre part, les tenues des chirurgiens doivent être portées sans occasionner de gêne pendant la durée des interventions ; elles exigent donc des qualités de confort suffisantes.

Ces divers objectifs pouvant s’avérer contradictoires, il appartiendra à la normalisation de rechercher les compromis acceptables.

La quantification des performances requises de tels matériaux est une tâche rendue difficile par les divergences de vue pouvant exister selon les états ou les firmes. Un important travail de normalisation des méthodes est donc le corollaire de la normalisation des produits.

Le marché du textile de bloc opératoire est considérable en volume : 24 millions d’interventions chirurgicales par an pour l’Europe de l’Ouest représentent 420 millions de m2 de textiles utilisés annuellement dans les blocs opératoires.

Sur ces 420 millions, 240 millions de m2 de casaques et 180 millions de m2 de champs.

Les enjeux essentiels de ce marché seront de savoir si son évolution doit conduire au  » tout usage unique « , ou si des places restent ouvertes au matériau réutilisable.

Les enjeux de santé publique liés à l’analyse de risque des pratiques de drapage et d’habillement en bloc opératoire sont encore très élevés : les infections post-opératoires représenteraient 50 000 morts par an sur la base de 0.5% de décès infectieux post-opératoires.

Les structures de normalisation : en Europe, la normalisation des drapages et tenues du bloc opératoire découle de leur statut de dispositifs médicaux.

La normalisation est effectuée en application de la directive 93/42 CEE, quelle que soit la nature des articles et matériaux entrant dans la composition de ces drapages : elle permettra de préciser les exigences essentielles opposables à cette catégorie d’articles.

L’organisme chargé de cette mission est le Comité Européen de Normalisation (CEN), relayé par un groupe miroir dans chaque état membre.

En France le groupe miroir est animé par le Bureau National des Industries Textiles et de l’Habillement (BNITH).

Dans certains cas, une normalisation internationale est proposée aux états par l’International Standard Organisation (ISO), mais cette normalisation n’a pas de caractère obligatoire.

Les groupes de travail comme le CEN/TC 205/ WG 14 qui s’occupe des textiles pour le bloc opératoire s’appuient sur les travaux d’organismes spécialisés, comme en France, l’Institut Textile de France, qui conduit la mise au point de tests physiques, chimiques et microbiologiques utilisables en normalisation.

La décision est prise après concertation entre les professionnels représentés dans les commissions au niveau national et européen.

Les normes en cours d’élaboration : la plus importante est la norme en projet

Pr EN 13795 :  » Champs chirurgicaux, casaques et tenues de bloc utilisés en tant que dispositifs médicaux, pour les patients, le personnel et les équipements. « 

Celle-ci comportera 5 parties, dont la finalisation est prévue, échelonnée jusqu’à la fin de l’année 2004.

Le découpage en est :

  • Partie 1 : Exigences générales pour les fabricants et les prestataires.
  • Partie 2 : Méthodes d’essai physiques
  • Partie 3 : Méthode d’essai relative à la pénétration microbienne – état sec
  • Partie 4 : Méthode d’essai relative à la résistance à la pénétration microbienne – état humide
  • Partie 5 : Exigences de performance et niveaux de performance

D’autres normes en cours concernent les masques chirurgicaux et coiffants (pas de numérotation), les textiles de bloc opératoire utilisables avec le laser ( ISO/DIS 11810.2), ainsi que les vêtements de protection contre les agents biologiques.

Les normes en vigueur : un grand nombre de normes européennes sont déjà adoptées quant aux méthodes de détermination de certaines caractéristiques des textiles utilisés dans les systèmes de santé (résistance thermique, résistance à l’humidité et à la pénétration de l’eau, changements de dimension lors du lavage ou comportement au feu).

Toutefois aucune de ces normes ne répond aux besoins des utilisateurs du bloc opératoire qui doivent attendre la sortie de la norme EN 13795 déjà citée.

Mesure de l’effet barrière : un aspect très important de la normalisation en cours sera certainement la mesure et les performances imposées aux matériaux en termes de limitation de passage de micro-organismes ou de particules, du patient vers l’environnement comme de l’opérateur vers le patient.

En Europe, les tests utilisables ont été mis au point par un groupe coopératif appelé  » Biobar Project « .

Ce groupe a testé et, le cas échéant amélioré, les méthodes existantes de l’American Society for Testing Materials (ASTM), de standards suédois, ou de l’EDANA et en a proposé et testé de nouvelles.

Une batterie de 5 tests mesurera donc l’effet barrière en évaluant :

  1. la résistance au passage de sang synthétique, appliqué sur un échantillon de matériau à tester sous pression d’air pendant une durée définie (tout ou rien) ;
  2. la résistance au passage d’un liquide contenant une culture de bactériophages (reproduisant donc le risque de passage de virus humains) ;
  3. la résistance au passage de bactéries stimulé par frottement au moyen d’un doigt de Téflon. Les bactéries testées par Biobar furent des staphylocoques dorés, le milieu de contact une gélose au sang changée toutes les 15 minutes ;
  4. l’imperméabilité aux aérosols liquides, contenant des staphylocoques dorés ;
  5. et enfin l’imperméabilité à la contamination aéroportée à sec, en utilisant des spores de bacillus subtilisvéhiculées par du talc calibré à 32 microns.

Toutes ces mesures s’appliquent aussi bien aux textiles linéaires (tissus classiques ou microporeux) qu’aux textiles surfaciques comme les intissés.

Le témoin négatif de tout test est le coton dont l’effet barrière est nul.

Ces essais ne sont pas les seuls à réaliser pour une tenue de chirurgien ou pour un champ : l’émission de particules, la drapabilité, la perméabilité aux gaz (transpiration), la forme des vêtements et la tenue des coutures ou les effets de soufflet sont autant de paramètres à intégrer dans l’évaluation de linges de bloc opératoire.

Les seuils et limites de ces différents tests ne seront donc disponibles et opposables que lors de la promulgation des normes citées plus haut.

Conclusion : un important travail de normalisation, qui se sera étalé sur une dizaine d’années, conduira sans nul doute les états membres de la communauté européenne à disposer de produits efficaces vis à vis des objectifs de sécurité lors du déroulement des interventions chirurgicales.

Lesdits états pourront imposer leurs normes à tout fournisseur de dispositifs médicaux destinés au bloc opératoire quelle qu’en soit la provenance.

Les questions qui restent posées malgré cet important travail et auxquelles les professionnels hospitaliers doivent répondre sont les suivantes :

  • la maîtrise du risque infectieux n’est pas garantie par la seule qualité des matériaux utilisés ; encore faut-il en maîtriser les procédures de mise en oeuvre ;
  • si des dispositifs médicaux font l’objet de réutilisations, il faut que la maîtrise de la biocharge soit assurée tant sur le plan qualitatif que quantitatif : autrement dit ce n’est pas la qualité du matériau qui autorisera la réutilisation ;
  • la connaissance et l’évaluation du risque se seront profondément modifiées du fait de l’apparition du prion et de son nouveau variant au décours de cette période de normalisation.

Réfléchissons bien de telle sorte que  » notre incurie ne rende offensives et meurtrières les armes destinées à la défense et à la conservation  » de la santé, selon le Duc de La Rochefoucauld.

Jean-Marie KAISER
Pharmacien, Service Pharmacie stérilisation, Hôpital Pitié Salpêtrière à Paris